Cris opales qui, dans la nuit silencieuse, berce les plus simples esprits. Mais Faust ne dort pas. Elle ne parvient pas à clore ses lourdes paupières qui ne rêvent pourtant que d’un bon sommeil réparateur. Au dehors, la nuit froide de l’hiver s’étend dans les sifflements du vent glacé et dévore tout sur son passage. Aveuglément, certainement. Les heures s’écoulent lentement, toujours plus lentement. Le corps ankylosé par la paralysante angoisse qui a la main mise sur son cœur et son cerveau, Faust respire à peine. Les crises d’angoisse engendre l’insomnie et vice-versa. Son pauvre petit cœur en papier mâché bat de plus en plus vite contre ses fines côtes, cognant si fort qu’on croirait l’entendre dans la nuit glacée.

Il était vrai que Faust avait connu des moments plus joyeux à Fidelitas que celui-ci en particulier. Mais il n’était pas rare qu’elle passe des nuits sans sommeil, terrée au fond de son lit, trop effrayée pour espérer fermer l’œil.

Elle sursaute violemment lorsque Gaspard, son boursoufflet, vient se lover contre sa joue, ronronnant paresseusement. La surprise et la peur sont bien vite remplacées par le soulagement et l’attendrissement. Délicatement, elle frôle du bout des doigts la petite boule de poil dont les ronronnements redoublent d’intensité à ce contact. Ses lèvres se muent en un sourire amusé et elle sent ses angoisses la quitter peu à peu. Gaspard sait toujours quoi faire pour la rassurer. C’est bêtement simple, mais cela lui suffit. Le démon aux yeux blancs ne viendra pas ce soir.

Faust, de son nom complet Faustine Violet Fitzgerald, n’avait pas toujours été aussi susceptible de sombrer dans les pires inventions de son fragile esprit. Enfant, elle passait son temps à se balader dans les bois qui entouraient l’immense manoir de ses parents. Elle ramenait toujours un animal qui s’y serait blessé ou aurait été attaqué. « Elle n’avait peur de rien », répétait sans cesse son père qui préférait s’enfermer dans son bureau que de mettre le pied dehors.

Faust avait été, dès les prémices de sa précieuse existence, une enfant surdouée, calme et réfléchie. Cela pourrait sembler presque prétentieux, mais disons les choses telles qu’elles le sont. La famille Fitzgerald vivait un immense manoir qui appartenait au chef de famille, le dénommé Mycroft Fitzgerald. Immense écrivain moldu à la renommée mondiale, il avait rencontré mademoiselle Irène Dubois (auror au ministère de la magie qui siège à Londres, malgré la consonance française de son patronyme) par hasard. Du moins, c’était ce qu’il croyait à l’époque. Mais passons, ce n’est pas l’histoire des parents Fitzgerald qui nous intéresse pour l’instant présent.



Le printemps avait consciencieusement balayé toute trace de l’hiver mourant, faisant renaître la nature autour du château qui reprenait peu à peu ses droits. Les rayons du soleil venaient caresser avec malice les vastes étendues verdoyantes sur lesquelles les élèves venaient profiter de l’air doux et de toutes les odeurs de vacances qu’il renfermait. Nous étions en avril, le dix-huit plus précisément.

Pas un élève, à part peut-être les plus portés sur le travail, ne s’inquiétait le moins du monde des examens de fin d’année qui se rapprochaient à grands pas. Et Faust était loin d’être une exception.

Pour l’instant, elle se prélassait encore dans son lit chaud et douillet, à des kilomètres d’imaginer que ce qui allait se produire dans quelques heures allait la changer à jamais.

C’était un dimanche comme les autres : paresseux en tout point. Faust mettait une bonne demi-heure pour s’extirper de ses couvertures, le corps encore tout endormi et un Gaspard ronronnant venait lui caresser la joue. Elle était parmi les dernières à se lever, dans son dortoir. Ses autres camarades de sixième année devaient déjà être en train de travailler, en bonnes Serdaigle travailleuses. Ou à s’offrir aux rayons du soleil en réfléchissant à une quelconque énigme. Des activités particulièrement insignifiantes pour l’hardie Faust. Débrouillarde qu’elle était, elle passait le plus clair de son temps à explorer chaque recoin de Poudlard, y découvrant tous les jours de nouveaux passages secrets et de nouveaux tableaux. C’était d’ailleurs eux qui finissaient par la guider dans ses aventures solitaires. Enfin, Gaspard était toujours là, juché sur son épaule, à l’affut tout comme elle, cependant elle n’avait jamais partagé tout cela avec qui que ce soit. Elle volait en solo, pour tout vous dire.

Grognant et marmonnant, Faust finit enfin par se lever pour se préparer à aller prendre un bon petit déjeuner dans la Grande Salle. Là elle éprouverait l’intense joie de se sentir dans ce monde sans pour autant en faire partie, comme si elle évoluait dans un univers coupé de celui des autres.

C’est totalement foireux, tout ce barzingue, ne put s’empêcher de penser Faust en se servant des céréales, tentant d’éviter à la fois les lancés de boules puantes de Peeves (l’esprit frappeur officiel du château) et les chouettes qui volaient légèrement trop bas à son goût.

Personne ne vient se joindre à elle durant son petit déjeuner, comme d’habitude. Elle préférait les choses ainsi. Mais alors qu’elle allait se lever pour quitter la Grande Salle, un obstacle des plus gênants vint lui barrer le chemin.

- Faustine ! Pourquoi ne te joins-tu jamais à nous ?fit d’une voix délicieusement atroce Céleste Reynold, l’une de ses camarades de Serdaigle.
- Je ne suis pas du matin, marmonna Faust en guise de réponse, peu enclin à bavarder plus longtemps avec une écervelée pareille.

Pour faire court, Céleste Reynold et Faust se connaissaient depuis leur premier voyage à bord du Poudlard Express. Leur première rencontre, catastrophique et mitigée, avait convaincue Faust de prendre ses distances vis-à-vis de ses camarades. Et cela n’avait pas changé, pas même après cinq ans à se côtoyer. Bien au contraire.

Faust s’apprêtait à faire un pas de côté afin de contourner la bête idiote mais celle-ci l’attrapa brusquement par le poignet pour l’en empêcher. Relevant la tête, Faust croisa le regard froid et agacé de sa grande amie et lui rendit le sourire torve qui lui était si gentiment offert.

- Oui ?fit-elle, se faisant violence pour ne pas lui cracher à la figure.
- Que dirais-tu de nous rejoindre tout à l’heure, près du lac ? Les révisions approchent et c’est plus amusant de s’en occuper à plusieurs, tu ne trouves pas ?
- Oui, oui, bien sûr, à tout à l’heure, répondit vaguement Faust, se dégageant de son étreinte pour reprendre son chemin.

Autant opiner du chef que de négocier pendant des heures. Elle n’allait pas perdre son temps à batailler avec un troll pareil. Heureuse de ne pas être suivie, Faust alla se perdre quelques temps dans les longs couloirs du château, afin de s’aérer la cervelle, Gaspard juché sur le haut du crâne.


Bien évidemment, il n’y avait personne au Lac Noir. Ç’aurait été trop beau, ou trop laid, de devoir supporter la présence de telles vaseuses bécasses. Cependant, un détail attira l’attention de Faust : un morceau de parchemin, négligemment accroché à la feuille d’un saule, pendait au bout de la branche tombante de l’arbre. Intriguée, Faust l’en détacha et lut le message gribouillé à la va-vite.

Nous avons pu réserver une salle de cours, au deuxième étage. Tu sais, la salle d’Enchantements ?
A tout de suite !

- C’est pas vrai, marmonna-t-elle, rangeant le morceau de parchemin dans sa poche avant de tourner les talons pour retourner au château.

Manquait plus que ça, me faire tourner en bourrique. Si c’est l’un de leurs mauvais coups, elles feraient mieux d’être préparées aux représailles.

Le pas pressé, la respiration haletante, Faust parvint bien vite au lieu de rendez-vous. Elle glissa une main dans sa poche, ses doigts se refermant sur sa baguette. Un geste simple qui aurait pu paraître absurde mais on ne savait jamais à quoi s’attendre avec ces pestes.

Faust posa sa main tremblante sur la poignée ancienne de la porte qu’elle tourna avec prudence, entrebâillant la surface glacée de bois noir afin de jeter un coup d’œil à l’intérieur de la pièce. Vide. Elle était vide. Pas une trace de Céleste et de ses amies. Haussant un sourcil, Faust pénétra dans la salle de cours sans plus de précautions.

Son unique et fatale erreur avait été de ne pas avoir regardé assez. De ne pas avoir remarqué l’armoire qui trônait au fond de la pièce, derrière les rangées de pupitres poussiéreux. L’atmosphère lourde et oppressante qui s’en dégageait lui nouait tripes et boyaux tandis qu’elle s’avançait, jetant des regards furtifs autour d’elle.

Soudain, une ombre. Légère et rapide, qui se faufila dans son dos. Elle se rendit alors compte que l’armoire inquiétante était entr’ouverte. La sensation de ne pas être seule qui lui glaçait le sang s’amplifia. Un chuchotement, aussi doux et aérien que le vent, vint lui chatouiller l’oreille. Son cœur cessa de battre, son souffle se coupa, quand elle se retourna pour découvrir, à quelques centimètres d’elle…

Démon aux yeux blancs.