Qu'importe où son regard se posait, il ne voyait que des déchets. Autant de mégots que d'hommes et de femmes, allongés les uns contre les autres dans un entremêlement de corps qui lui donnait envie de vomir. Ou était-ce l'odeur de poubelle rance et de tabac froid, mélangé à celle de la sueur qui lui donnait envie de rentre son repas ? Sans aucun doute c'était le tout qui le poussait à vouloir mettre le feu à l'immeuble et à les regarder se débattre pour sortir de ce brasier vivants comme des rats essayant de partir de la cave d'un bateau en train de chavirer. Au lieu de ça, il écrasait des mains qui traînaient pour se frayer un chemin jusqu'à l'appartement de ses parents, shootant dans des canettes vides, broyant des restes de ce qui semblait être un sandwich de ces immenses rangers. Plus il s'approchait de l'endroit où il vivait deux mois par an -deux longs et interminables mois- moins les épaves humaines s'entassaient dans le couloir. Logique je vous dirais. Dans l'immeuble, tout le monde savait que l'appartement 17C était habité par des sorciers. Ou des extra-terrestres. Ou des monstres qui vous suçaient le cerveau quand vous vous endormiez. La rumeur avait été lancée avant même que Danslav vienne au monde et il remerciait le ciel pour ce on-dit qui tenait ses voisins moldus, un peu simple d'esprit, à l'écart de son lieu de vie. Il ne savait pas s'il aurait été capable de supporter des drogués ou des ivrognes battant leurs femmes et leurs enfants se pointer à sa porte pour discuter du beau temps.

Après ce qu'il lui semblait être une éternité dans ce dédale de corps et d'ordures, le blondinet réussi à arriver devant sa porte malheureusement bloquée par un soûlard assez fou pour venir cuver devant l'antre des dévoreurs d'enfants. Du bout du pied, le jeune polonais poussa la jambe du vieillard pour voir tout d'abord s'il était encore vivant. Un ronflement gras et guttural sortit de la gorge de l'ivrogne et informa bien vite le jeune homme du fait qu'il était toujours en vie. Le contournant, le jeune homme posa le plat de son pied sur l'épaule du vieux et d'un coup sec le fit basculer sur le côté. Hors de question de se débarrasser de cette ordure en y mettant les mains. Et puis de toute façon, il avait les mains prises des sacs de nourriture qui serviraient pour la semaine. En plus d'être le seul à travailler dans une usine de sidérurgie et à gagner de l'argent moldu, Danslav était aussi le seul à s'occuper à maintenir cette famille en vie. Enfin, les restes de ce qu'on pouvait appeler une famille.

Le vieux poussa un cri, mélange entre le grognement du cochon et de l'âne, tandis que sa tête heurtait durement le mur formant le coin du couloir. Il grogna encore, le temps de trouver un minimum de stabilité, et s'appuya de tout son poids contre le mur pour se relever, laissant des marques de crasse là où ses mains se posaient. Alors qu'il était prêt à donner une leçon au gamin qui venait de le réveiller, un seul coup d'œil de la part du jeune homme suffit à lui faire reprendre raison et il s'en alla, titubant et rotant comme le déchet qu'il était laissant flotter sur son passage un mélange agressif de boissons bon marché, de sueur et de tabac. Le jeune sorcier attendit qu'il fut un peu éloigné pour ouvrir enfin la porte de son appartement d'un simple coup d'épaule. Cette dernière grinça mais ne refusa pas de s'ouvrir. Un simple coup de pied la referma instantanément et à peine fut-il entrer dans la pièce qui servait de salon que déjà les insultes fusaient. « C'est à cause de toi tout ça ! » « À cause de moi ? Tu plaisantes j'espère ! C'est moi qui t'ai poussé entre les jambes de cette garce peut-être ? » « Non mais tu n'as rien fait pour me retenir en tout cas ! » « Comme si tu étais un si bon parti et que j'allais me battre pour que tu restes à mes côtés. Tu n'es qu'un moldu, rien d'autre ! » Et la dispute continua même lorsque le jeune homme passa entre ses deux parents qui ne semblaient même pas le voir.

Comme si de rien n'était, le blondinet entra dans la cuisine et commença à ranger les affaires. Lui seul savait comment organiser cette maison avec un minimum de cohérence et un tel détachement pour ce qui se passait dans la pièce d'à côté que s'en était presque effrayant. Un claquement de porte annonça enfin une pause dans la guerre éternelle que se livrait son père et sa mère, tandis qu'il entendait sa mère pousser des gémissements dans la pièce d'à côté. Cela ne le perturba toujours pas, continuant d'empiler les boîtes de conserves comme s'il ne faisait pas partit du même univers en ce moment-même. Finalement, ce fut quand il déposa le dernier paquet de nourriture sur une étagère que sa mère apparu dans la cuisine. Aucun des deux Leonidovik ne fit un geste ou ne prononça une parole envers l'autre pendant un long moment et ce fut sa mère qui brisa la glace.

Lentement elle s'avança vers lui mais Danslav ne lui accordait aucune attention. Il jeta les sacs à la poubelle et alors qu'il se retournait, il fit enfin face à sa mère. Leurs regards s'accrochèrent et il ne pouvait malheureusement pas douter de son lignage quand il plongeait dans les yeux de sa mère. Copie identique des siens, ils étaient d'un bleu profond quand il faisait beau et gris tempête quand le temps menaçait. Soudainement, sans s'y attendre, sa génitrice posa sa tête contre son torse et enroula ses bras autour du corps de son fils. C'était un geste tendre, maternel, qui semblait tellement naturel mais pour le jeune polonais c'était un choc total. Jamais sa mère ne l'avait pris ainsi dans ses bras et il n'avait absolument aucune idée de la façon dont il devait réagir. Plus les secondes s'égrenait et plus il commençait à apprécier ce moment d'intimité avec elle malgré ses bras ballants et son dos complètement arqué. Finalement, il brisa l'étreinte et d'une main ferme repoussa sa mère hors de son chemin. Même s'il crevait d'envie de rester dans ses bras toute la soirée s'il le fallait, il savait que ce n'était qu'une passe chez elle et que le lendemain, elle reprendrait son rôle de droguée fanatique de son infidèle de mari et il ne voulait pas vivre en sachant qu'au fond d'elle, elle était capable d'un peu de douceur mais qu'il ne l'avait tout simplement jamais mérité.