« - Describe your perfect date.
- That’s a tough one. Hum … I’d have to say April 25th, because it’s not too hot, not too cold. All you need is a light jacket. »

Et si, hypothétiquement, il n’était pas né ? Et si Monsieur et Madame Salisbury avait décidé de ne pas avoir un septième enfant ? Après tout, il était facile de penser à cela. Six, c’était peut-être un peu trop, même pour une famille aisée. En tout, ils étaient même dix-huit dans la famille. Il y avait donc six enfants, deux parents, un précepteur par enfant, soit six précepteurs, ainsi que trois chiens et un chat. Bien évidemment, les précepteurs ne faisaient pas partis à proprement parler de la famille, mais ils étaient là plus souvent que les domestiques, donc on pouvait aisément les inclure dans ce calcul. Et puis, six enfants, c’était un chiffre pair. Les chiffres pairs ont toujours été préférables aux chiffres impairs. Jusque là, ils étaient parvenus à garder un certain équilibre. Trois garçons et trois filles. Il n’y avait donc pas de jaloux, pas de surreprésentation de la gente féminine sur la gente masculine ou inversement. Un septième enfant reviendrait donc à casser toute l’harmonie qu’ils avaient bâtie au fil des années. Hypothétiquement donc, si Aleksi n’était pas né, la famille serait reste la même. Les garçons auraient vécu en parfaite cohabitation avec les filles et aucun clan ne se serait formé. De fait, les parents, heureux de voir leur famille agir ainsi, seraient restés ensemble jusqu’au bout de leur vie, aimants et aimés. L’aîné n’avait jamais été très travailleur. Ce n’était sûrement pas le caractère indiscipliné de son plus jeune frère qui l’avait véritablement détourné du droit chemin. Il présentait déjà quelques tares et prédispositions à finir sa vie sur le trottoir. Peut-être ne serait-il pas comme aujourd’hui obligé de vendre son corps pour survivre, mais il vivrait sûrement sous les ponts. L’aînée des filles, quant à elle, aurait peut-être mieux réussi. Elle avait toujours eu cette fibre maternelle – sans doute parce que ses parents avaient pris soin de ne lui offrir que des jouets sexués, afin de la préparer au mieux à sa future vie de femme et de mère – et préférait s’occuper de ses frères et sœurs plutôt que de travailler un peu plus. Et il fallait bien avouer qu’Aleksi lui donnait du fil à retordre. S’il n’était pas né, elle se serait sans doute mariée avec un homme plus riche et plus intéressant et aurait été une mère aimante elle aussi. Qu’il soit né ou pas ne change donc pas grand-chose. Juste de la qualité de vie de sa sœur. Le troisième enfant, une fille encore une fois, était le petit joyau de la famille. Pensant s’arrêter au bout de trois, ils l’avaient gâté du mieux qu’ils pouvaient. Elle avait développé jusqu’à sa naissance une forme d’arrogance enfantine plus que détestable. S’il n’était pas né, elle aurait sans doute continuée sur cette voie, devenant de plus insupportable. Pour pouvoir combler tous ses désirs grandissants, il lui aurait fallu un mari aimant, et surtout riche. Ce qui n’est pas le cas puisqu’il est né. Elle était vite devenue jalouse. Elle avait d’ailleurs été jalouse de chaque enfant qui était né après elle. Elle leur rendait la vie impossible, ce qui contribuait aussi à fortifier leur caractère. Mais elle avait particulièrement insisté sur le petit dernier, à tel point que la méchanceté avait marqué ses traits, qui ne ressemblaient plus à grand-chose. Elle avait du se contenter d’une vie tranquille, éloignée de tout, dans un appartement qui donnait sur la mer, dans une ville balnéaire désertée l’hiver, où seuls le vent et la pluie se projetaient avec une force inouï sur les fenêtres. Ils auraient peut-être mieux fait d’arrêter là. Mais la nature leur a fait donc de deux jumeaux. Des faux jumeaux. Un garçon et une fille. Toujours fourrés ensemble, inséparable. Mère avait absolument tenue à appeler la fille Antoine. Elle était encore en train de lire des biographies françaises. Père, lui, avait voulu appeler le garçon Anastase. Ah oui, ils aimaient bien les prénoms qui commençaient par un A. Cela les forçait plus à faire preuve d’imagination que d’autre chose. Ils n’étaient pas très intéressants, ils ne parlaient qu’entre eux. A tel point qu’ils avaient commencé à inventer leur propre langage pour parler entre eux. Ils n’avaient pas fait attention à Aleksi. Qu’il soit né ou pas n’aurait rien changé les concernant. Et s’il n’était pas né, peut-être que ses parents seraient toujours ensemble. Dire que c’est lui qui est à l’origine de leur divorce n’est pas totalement vrai, mais pas totalement faux non plus. Il a toujours su et pu les mettre dos à dos pour obtenir ce qu’il voulait, ce qui a fini par faire éclater ce couple pourtant si lié.

Ses lèvres avaient un goût sucré. Ou était-ce un goût salé ? Il n’avait jamais bien su faire la distinction entre les deux. Mais il avait déjà lu l’expression quelque part et il se sentait obligé de l’utiliser de temps à autre. Il rapprocha son corps de celui de l’autre. Sa main passa dans les cheveux de son vis-à-vis. Il aimait les sentir sous ses doigts, cette texture à la fois si douce et si particulière. Il ferma les yeux, tentant de savourer l’instant présent, d’oublier le lieu dans lequel il se trouvait. D’un geste souple gracieux, il fit basculer son camarade sur la table la plus proche, lui grimpa dessus et commença à faire glisser ses lèvres le long de son cou, ses doigts tentant tant bien que mal de déboutonner sa chemise si étroitement fermée. Le souffle court de l’autre, ainsi que ses halètements de plus en plus fréquents, le poussaient à continuer. Le contact avec un autre corps masculin lui procurait tellement de plaisir. Il parvenait encore à découvrir certains aspects à chaque nouvelle aventure avec un corps étranger. Sa langue glissa doucement depuis la base du cou jusqu’à l’arête du visage. Il y déposa délicatement ses lèvres et y appliqua à nouveau un baiser. « Je crois que je t’aime Aleksi. » Peut-être que s’il faisait semblant de ne rien entendre, de ne pas avoir entendu, qu’il ne réagissait pas, tout serait oublié, il passerait outre, il ne chercherait pas à en savoir plus, sur ses sentiments à lui. Sa main lui caressa lentement la joue. Il aimait ses pommettes saillantes. Il trouvait qu’elles lui donnaient un air encore plus craquant que d’habitude. Peut-être que si lui-même s’affamait, elles apparaitraient aussi dans le creux de ses joues. Il continua ses baisers sur le bord du visage de l’autre. « Tu m’as entendu ? » N’était-il donc pas capable de comprendre que peu lui importait ? Ne pouvait-il pas tout simplement profiter de l’instant présent encore un peu, avant que tout n’éclate ? Oui, peut-être qu’effectivement, il l’avait entendu. Mais il était certain qu’il ne l’avait pas écouté. Les hommes étaient-ils donc incapables de profiter de l’instant présent en silence. Il y arriver pourtant bien. Ce n’était pas trop demandé aux autres de faire de même. Pour faire taire le malotru, il se pencha plus en avant, et déposa ses lèvres contre les siennes. Là, aucun mot ne pourrait plus sortir de cet orifice impur à présent.

[U.C.]