« Je ne peux pas prendre cette responsabilité, mère, cette enfant n'est pas la mienne mais celle de Khalÿxta. » La conversation était pour le moins sérieuse, car chacun savait qu'il en allait de l'avenir de ce nourrisson, logé dans les bras de sa grand-mère. La frêle constitution de Khalÿxta, la soeur jumelle de Khalÿpsô, lui avait coûté la vie lors de l'accouchement, si bien qu'il lui fallait une mère attitrée, et qui de mieux que sa copie conforme ? Personne ne doutait de la compétence de la jeune femme, mais là n'était pas la question. Au centre des préoccupations : l'honneur. La grossesse avait été dissimulée à tous, le déni avait préservé la génitrice des rondeurs, seulement une naissance sans époux était inconcevable. « Ne fais pas l'enfant, Ariane, tu sais parfaitement que nous n'avons pas d'autres choix, ce serait jeter le déshonneur sur notre lignée. Impensable ! Tu te dois d'être sa mère. Aphrodite l'aurait souhaité. » Le deuil n'était que plus difficile de part la présence de la petite, d'à peine quelques jours, qui ne cessait de pleurer, ne s'arrêtait qu'au creux des bras de celle qui était en réalité sa tante. Mais Ariane, dite Khalÿpsô depuis des années, n'était pas impressionnée par l'autorité précaire que tentait désespérément d'imposer Wilhelmine, et son père n'avait pas daigné se présenter, en voyage d'affaires depuis près de six mois. Il n'avait pas toléré l'affront de sa fille, cette erreur monumentale. Six mois, le temps nécessaire pour digérer la nouvelle. « Tu le seras, Khalÿpsô. Je travaille à te trouver un époux convenable, jusque là tu n'évoqueras rien de cette famille parfaite que nous imaginerons ensemble. Secret de famille comme tant d'autres. Il n'y a pas à discuter, tu le sais aussi bien que nous. Il faut également trouver un prénom à la petite. » Il avait transplané, avait posé son manteau dans l'entrée, écoutant par la même la conversation entretenue par les deux femmes, imposant son choix. Il savait qu'elle obéirait car elle lui portait un respect sans limites. « Bien, père. J'ai songé à Sircey. » Un simple signe de tête approbateur fut reçu comme réponse. Sircey était adapté, empreint d'autant de mystère qu'adapté aux prénoms mythologiques utilisés par les différents membres des Van Wyck. « Cependant.. pour le mariage je.. » Le regard sévère lui indiqua que le sujet était clos, ainsi, sur ces derniers mots, la blonde récupéra la petite, sa fille, désormais, aux yeux de tous.

Quand les gens posent pour une photographie, ils sourient, ils sont bons, leur âme est endimanchée.

« Ne crois-tu pas que les Arts Occultes ne sont pas un cursus pour une mère ? » Wilhelmine avait toujours quelque chose à redire sur le fonctionnement de sa fille, sur l'éducation qu'elle donnait à Sircey, mais dés lors qu'elle avait été déclarée comme la génitrice de la petite, Khalÿpsô avait tout pris en mains, sans jamais laisser quiconque lui dicter ses choix la concernant. « Je ferai ce qui me passionne, mère. Sircey se porte bien, dés lors, vous n'avez plus rien à me dire. D'autant que père approuve. » C'était ainsi que la jeune femme coupait court, car la parole de Perséus faisait loi. Si seulement le fils était présent, mais cela faisait bien longtemps qu'il avait coupé les ponts avec les siens, tombé fou amoureux d'une impure et par conséquent, renié. Khalÿ ne l'avait pas vraiment connu, ayant reçu la formation parfaite d'une aristocrate, les arts, la littérature, la musique, tandis que le jeune homme avait été formé à l'escrime, aux duels, à l'équitation ainsi qu'à la politique. Deux mondes différents, en soit. « Pourquoi ne pas tenter la Médicomagie, il y aura plus de travail. Vois le côté pratique, par pitié et bon sens. » L'agacement était plus que lisible, car avouons-le, lorsqu'elle s'y mettait, cela devenait particulièrement lourd. « Ecoutez, malgré tout le respect que je vous dois, il va devenir nécessaire de vous la faire fermer, mère. » Adorable, la sorcière. « Maintenant si vous le permettez, je vais me préparer, à moins que vous ne désiriez que nos invités me voient dans cette tenue. »

La blonde descendit les escaliers, vêtue de la longue robe émeraude achetée la veille pour l'occasion. Elle était peut-être responsable d'une vie, elle n'en restait pas moins jeune et libre de profiter un peu des avantages qu'offrait sa fortune et son nom. Un nom reconnu, forçant respect et admiration. « Et bien mademoiselle Van Wyck, quelle élégance.. l'on en oublierait presque votre fille avec une ligne pareille. » Les invités en questions étaient d'imbuvables personnages dont le fils égalait sans mal ses deux parents. Un être qu'exécrait au plus au point Khalÿpsô, le trouvant mesquin, lâche et vulgaire. « Je vais prendre cela pour un compliment, monsieur. Il vaut mieux. » En effet. L'importance des relations sociales lui imposait une tenue irréprochable au sein du manoir, mais par chance, en dehors, elle se permettait toutes les folies, laissant Sircey à sa tante en semaine. On se débrouillait comme l'on pouvait. Quoi qu'il en soit, Khalÿpsô n'était pas dupe, celui-là n'était pas désintéressé, et par le nom et par la silhouette que l'on savait facile entre les murs de leur université. Facile, oui.. pour qui savait attirer son regard clair, son désir. Pour qui avait une certaine capacité à se taire, également. Elle ne partageait pas la couche de n'importe qui, la petite princesse. Le fait est que le repas eut lieu sans encombre et sans nuit torride par la suite.

Sois cruel avec maîtrise. Le sel est excellent mais pas trop n'en faut. Par conséquent, alternances de duretés et de douceurs, sans oublier les obligatoires ébats.

« Ne crois pas une seconde que cela se reproduira. Je ne suis pas la maîtresse fidèle. Tu m'as eu dans tes draps, à présent c'est terminé. » Terminé, oui. Khalÿpsô était le genre de femme dont on avait envie, que l'on désirait et que l'on n'avait que si elle, vous voulait. Si tel n'était pas le cas, alors il fallait batailler, prouver que la patience ne manquait pas, sans en devenir lourd, sinon la vipère ressortait, mordante, et pouvait vous briser le coeur en quelques mots.. car elle n'était pas l'ange que son visage laissait paraître, pas une faible femme pour deux sous. Van Wyck avait été un père dur, l'avait éduquée de sorte qu'elle ne se fasse pas avoir par n'importe qui, qu'elle devienne inflexible, si bien qu'il en avait délaissé son autre fille, celle qui s'était faite avoir, celle qui avait pris exemple sur l'éducation maternelle. Difficile loi de l'existence, difficile loi de l'aristocratie. Marche ou crève, comme l'on dit. Des jumelles, elle avait toujours été la plus ambitieuse, la plus fière, aidée bien évidemment dans ses débuts par quelques camarades bienveillants, ou charmés par le jolis minois. Peu acceptaient de se dévouer à une cause, seulement elle savait aussi bien semer le chaos que s'attirer la sympathie, lorsqu'elle en avait décidé ainsi. La douce en avait bavé, à ses débuts, et s'était endurcie, logiquement.. bien qu'elle arrive encore à avoir des moments de faiblesse, de doutes, les larmes pouvaient la submerger, mais jamais au grand jamais elle ne les montrait, ou qu'à son plus fidèle ami. « Tu le savais. J'ose espérer que tu ne t'attendais pas à une romance mielleuse, ce n'est pas mon genre. » Radicale, elle ne tournait pas autour du pot, telle était sa façon d'agir avec ceux qui ne comptaient pas, ou si peu. Un amant n'était jamais qu'un amant.

« Maman.. on y va ? Je suis fatiguée.. puis j'en ai marre de jouer. Les autres m'énervent. Ils ne comprennent rien. » Autant dire que le pauvre éconduit restait ahuri face aux paroles débitées et à l'apparition de la petite chose blonde, haute comme trois pommes, copie presque conforme de la créature qu'il avait eu dans ses bras quelques nuits plus tôt. Et bien tout compte fait, mieux valait ne pas chercher à l'épouser, celle-ci. Trop jeune pour être père. « Bien sûr, chérie. On rentre. » Et la vipère adoucie se baissait pour récupérer l'enfant, âgée de six ans, petite surdouée rêvant déjà d'aller étudier la magie, dévorant quelques bouquins à sa portée évidemment mais ne se doutant pas une seconde que son existence entière était basée sur le plus grand mensonge que les van Wyck aient jamais inventé. Qui lui dirait, qu'elle n'était pas l'enfant chérie, l'enfant désirée ? Bien sûr, Ariane n'en avait pas voulu, au début, mais elle s'y était attachée, et en un sens, cette petite bouille l'avait conquise, était devenue sa chair et son sang. Nul ne pourrait prouver que Sircey était l'enfant d'Aphrodite, jumelles parfaites, les chances étaient minces, et personne n'en parlait jamais. « Grand-Tante Isis t'attend avec impatience. » Le ton était maternel, tendre, et l'étreinte douce, parce que la féline séductrice savait se faire protectrice et aimante, comme elle se le devait. Facettes multiples d'un être complexe, plus torturé qu'il n'y paraissait. Elle donnait l'image qu'on lui avait enseigné, celle qu'on l'obligeait à donner, mais derrière le masque de fer restaient cette douleur lancinante, la douleur de la dissimulation, de la tromperie. Comédienne hors pair pour la protection de sa lignée, elle s'oubliait pour le bien de l'enfant, sans pour autant abandonner ses rêves de réussite, car elle n'avait jamais cessé de vouloir apprendre le maximum. Elle balayait quiconque se mettait en travers de sa route, tornade volcanique désireuse de conserver la seule chose qui lui appartenait vraiment : son avenir professionnel. Plus elle engrangerait de savoir, mieux elle se porterait, plus grande serait son influence.. et elle comptait bien sur une future influence ou un sombre savoir pour anéantir l'homme qu'on lui imposerait tôt ou tard. Qu'ils essayent de la brider trop longtemps et meurtrière elle se ferait.